D’ingénieur à boulanger : l’odyssée d’Ulysse Lauras

La Petite Boulange, c’est LA boulangerie délicieusement engagée qui manquait au paysage vannetais. Du (très) bon pain et des pâtisseries de voyage réalisés à partir de produits de qualité, 100% bio, au levain, et sourcés le plus localement possible : c’est le pari qu’a fait Ulysse Lauras, ingénieur de formation reconverti dans cet artisanat de bouche. Rencontre avec un boulanger engagé pour le bon, le beau et le sain.

 

Crédit photo : Pauline Limouzin

 
 

Qui es-tu Ulysse ?

J’ai 33 ans et j’ai grandi en région parisienne. Après une prépa Math Sup Math Spé, j’ai intégré une école d’ingénieur en génie mécanique et industriel à Grenoble. J’ai voyagé au Chili pendant plusieurs mois et je suis ensuite parti au Mexique où j’ai trouvé un emploi en tant que chef de projet dans une fonderie d’aluminium.

Qu’est-ce qui t’a amené à quitter ton métier d’ingénieur ?

Au bout de deux ans et demi au Mexique, je ne m’y retrouvais plus au niveau de l’éthique du travail, même si c’était intéressant techniquement. Je suis rentré en France et j’ai cherché à faire quelque chose qui correspondait mieux à ce que j’estimais « bon » ; je voulais revenir à des choses essentielles.

Je n’ai pas trouvé tout de suite ce que je voulais faire et comme il fallait bien manger, j’ai repris un travail d’ingénieur dans une usine. C’était intéressant, mais humainement cela ne me convenait pas. J’ai donc tiré la ficelle encore plus loin, lu des bouquins, écrit et je suis arrivé à la conclusion suivante : je voulais faire du woofing pour travailler dans des fermes bio en France ! J’étais passionné depuis le lycée par la question écologique, les ressources disponibles, le changement climatique, la question des déchets, et j’ai toujours essayé de me dire « qu’est ce qui se passerait hors de la société si on n’avait pas tout ce qui nous entoure, les réseaux d’eau, d’électricité, d’alimentation ». L’objectif avec le woofing était de vivre dans un autre cadre et d’apprendre des savoir-faire de la terre, et l’agriculture bio. J’ai travaillé dans une dizaine de fermes pendant un an, principalement chez des maraîchers, chez des paysans-boulangers bien-sûr, et puis j’ai aussi découvert les plantes aromatiques, le miel, les brebis, le safran… je voulais voir de tout, m’immerger dans ce milieu-là, chez des gens qui vivent de leurs exploitations. J’ai rencontré des personnes super, dans une démarche engagée écologiquement et je me suis vraiment retrouvé là-dedans !

Comment as-tu concrétisé ces envies de changement professionnel par la suite ?

J’ai fait un CAP Boulangerie sur huit mois dont trois mois de stage, à Paris et Montreuil. De super stages, chez des boulangers qui faisaient le style de pain que je fais aujourd’hui, bio et au levain. Après le CAP, je suis parti voyager seul à vélo pendant quatre mois en Europe du Nord principalement. J’adore le vélo, mais c’était aussi un voyage autour du pain qui m’a permis d’aller voir des boulangers sur la route et de voir ce qui se fait dans le monde du pain, ailleurs. Je voulais aussi éveiller les gens qui m’hébergeaient au pain et à la panification ; j’avais mon levain avec moi, on a fait du pain plusieurs fois, les gens étaient plus ou moins intéressés mais certains étaient très contents d’avoir ces conseils pour faire leur pain chez eux ! Après, je suis rentré à Paris où j’ai travaillé pour deux restaurateurs qui faisaient leur pain dans leur restaurant. J’ai pu les aider à ouvrir leur boulangerie, à mettre en place leur gamme et à travailler les recettes, avant de rejoindre la boulangerie aux Grands Voisins. Par la suite, j’ai travaillé chez une traiteur parisienne où je faisais également des pâtisseries.

 

Crédit photo : Pauline Limouzin

 

Comment est née la Petite Boulange ?

Cela faisait déjà quelques temps, depuis la fin de mon CAP, qu’on avait envie avec ma femme Julia de partir de Paris. Ayant des attaches familiales en Bretagne, on a choisi de venir s’installer à Vannes. Je ne m’étais pas dit que je monterais un projet aussi rapidement - au début je travaillais chez un boulanger -, mais j'ai très vite trouvé des locaux et nous avons ouvert La Petite Boulange mi-novembre 2019 ! Il y avait clairement une demande et un déficit de ce type de boulangerie à Vannes. Pour l’instant, je suis le seul installé en pain au levain et bio dans la ville. Nous sommes une petite équipe : Julia s’occupe de la vente tous les après-midi, en plus de son travail en cuisine au restaurant Le Coq à l’Âne, et je suis également aidé par une boulangère.

 

 

Je fais tout à la main (…) Tout est réfléchi pour avoir le moins d’impact
sur l’environnement, la biodiversité et les gens aussi !

 

 

La Petite Boulange n’est pas ce que l’on appelle une boulangerie conventionnelle… Peux-tu nous en dire plus ?

Je fais tout à la main. Je voulais utiliser le moins de machines possible car elles impliquent de l’énergie et des matières à fabriquer. J’ai pu voir pendant mon expérience en tant qu’ingénieur qu’il y a beaucoup d’impact dans tout ce que l’on consomme. Tous les boulangers ont un pétrin (très peu pétrissent à la main comme je le fais), une diviseuse, une balancelle pour détendre les pâtons, une façonneuse, etc. Tant que je pourrai faire sans, je le ferai ! Tout ce que je vends est biologique et local : je travaille très principalement avec des paysans-meuniers biologiques locaux qui font à la fois les céréales et la mouture, mais qui ne sont pas des minotiers. Le seigle vient de chez Nicolas Supiot à Maure-de-Bretagne et 80% de la farine que j’utilise viennent soit de Grandchamp, soit de Saint-Jean-de-Brévelay. Ce sont des pratiques culturales qui sont très correctes, des petites surfaces et des champs bien entretenus. Tout est moulu sur meule de pierre, ce qui préserve les minéraux, les vitamines et fait une farine un peu plus grossière. Les amidons sont donc moins dégradés que sur un cylindre en acier.

Je n’utilise pas de farine blanche hormis pour la fougasse et la brioche.
Je travaille avec le sarrasin, le petit épeautre, le blé, le seigle et le riz. J’achète les oeufs à Arradon et les produits d’épicerie chez un semi-grossiste bio en Bretagne. Je n’achète que du bio, j’ai le label pour toute la production. Mon four fonctionne à l’électricité renouvelable, avec Enercoop. En plus de la vente à la boulangerie, je distribue un peu autour, au Local Bio à Séné, aux Biocoop de Saint-Avé et Vannes et à trois restaurants vannetais. Tout est réfléchi pour avoir le moins d’impact sur l’environnement, la biodiversité et les gens aussi !

 
 
 

Crédit photo : Pauline Limouzin

 
 

Pourquoi ce choix de faire du pain au levain ?

Il y a quelque chose qui m’a vraiment captivé et passionné quand j’étais en woofing, c’était de faire un produit qui soit beau et bon, à partir d’ingrédients très simples : de l’eau, des céréales moulues et du sel. Le levain c’est juste de la farine et de l’eau, c’est cela que je trouve cool et captivant ! J’utilise deux levains : blé et sarrasin. C’est le même levain que j’ai depuis quatre ans, je l’avais même pendant mon voyage à vélo ! C’est une flore micro bactérienne que tu entretiens, des micro-organismes qui se multiplient. C’est comme la levure fraîche de boulanger en fait, sauf que ce n’est pas un seul champignon microscopique qui est sélectionné et multiplié en laboratoire, et qui est donc très puissant et efficace. Derrière la levure, il y a toute une chaine de production, de conservation et d’emballage, c’est facile à utiliser. Moi, tous les soirs à 20h, je reviens ici pour relancer mon levain. Là encore, si j’ai fait ce choix, c’est pour ne pas dépendre et alimenter une production industrielle. Pour ne pas cautionner aussi. Et puis un levain, c’est un microcosme où des levures et bactéries vivent en symbiose, c’est une sorte de biodiversité que j’aime cultiver !

 
 

Avec quoi peut-on se régaler à La Petite Boulange ?

On fait quelques produits salés : une fougasse aux olives et des crackers aux graines qui ont beaucoup de succès ! En sucré, ce sont principalement des biscuits qui se conservent sans frigo, donc pas de crème, des biscuits secs, des financiers, des cookies à l’amande, au sarrasin et écorces d’oranges. Je ne fais pas de viennoiserie car je ne fais pas de feuilletage ; sans laminoir c’est trop de travail et les viennoiseries au levain, ce n’est vraiment pas facile. Je fais de la brioche pur levain une fois par semaine, le vendredi, et je suis en train de réfléchir à une nouvelle recette de pains briochés au chocolat.

Côté boulangerie, on fait une dizaine de pains différents tous les jours, et un pain spécial chaque jour. On fait un pain 100% à la farine semi-complète du paysan-meunier de Saint-Jean-Brévelay. Le campagne est fait à 100% avec la farine de Grandchamp. La tourte de seigle avec le seigle de Nicolas Supiot. C’est une façon de respecter les producteurs ! Je fais aussi des mélanges, un pain complet, des pains avec des graines torréfiées, un pain allemand moulé, plus dense, seigle et blé complet. Ce sont des produits qui changent des boulangeries classiques. Nos clients aiment le goût de notre pain parce qu’il est bien cuit et a une croûte croustillante, parce qu’il est nourrissant et se garde bien. Ils ne viennent pas ici que parce que c’est bio !

 
 

Que faites-vous des produits invendus ?

Plusieurs choses. On est en lien avec l’association Cuisiniers solidaires depuis les débuts de La Petite Boulange. Quand il nous reste des morceaux de pains secs, on les donne à la Banque Alimentaire, qui les donne ensuite à un ESAT (ndlr : Etablissement et Service d’Aide par le Travail), où ils sont broyés et utilisés dans des mélanges pour nourrir le bétail. En plus de cela, on vend le pain de la veille à moitié prix. Souvent les boulangeries n’osent pas le vendre car le pain est sec, mais avec le levain il se garde bien et il y a aussi des gens qui préfèrent le pain de la veille. Les gens sont contents et nous aussi car on ne jette pas du tout !

 

 

Pour moi, le petit artisanat est très important. C’est nécessaire que les gens sentent qu’ils sont intégrés dans un réseau local.

 

Crédit photo : Pauline Limouzin

Un conseil à donner à celles et ceux qui voudraient se reconvertir dans l’artisanat de bouche ? Si c’était à refaire, le referais-tu ?

Le conseil que je pourrais donner, c’est qu’il faut toujours apprendre et s’écouter, et savoir ce dont on a envie. Il faut de la motivation et du courage, mais le résultat est super, c’est un accomplissement ! On s’appelle La Petite Boulange, pour le fait que ce soit petit, que ce soit nous, un style, et j’espère qu’il y aura d’autres projets de ce style-là ! Pour moi, le petit artisanat est très important. C’est nécessaire que les gens sentent qu’ils sont intégrés dans un réseau local. De la même manière, c’est important de connaitre, de servir ses clients directement. Je fais une bonne partie de la vente, donc les clients sont en face du boulanger, c’est toujours plus sympa ! Et de mon côté, je connais l’origine de mes produits, je sais qui cultive, qui fait la farine, et moi je transforme. Parfois mes fournisseurs passent ici et rencontrent les clients. Les gens viennent là pour discuter un peu aussi, c’est vivant, pas impersonnel, il n’y a pas de barrière ! Et oui, si c’était à refaire, je le referais sans hésiter !

[Interview et photos réalisées début octobre 2020, avant le re-confinement.]


 

La Petite Boulange
30 avenue Saint-Symphorien
56000 VANNES

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