À la ferme Racine, Sébastien fait rimer maraîchage bio et alternatif avec micro-ferme autonome
À l’orée des marais de Talmont-Saint-Hilaire (85), se trouve une petite ferme maraîchère à taille d’homme, la bien-nommée Ferme Racine. Elle est le fruit du travail et de l’imagination de Sébastien Racine, ancien graphiste devenu paysan maraîcher en 2020. Rencontre avec cet amoureux de la côte vendéenne, qui ne manque ni d’énergie ni d’idées pour conjuguer son activité de maraîchage bio avec viabilité, durabilité et ancrage dans l’écosystème local.
Dans une autre vie, le quotidien de Sébastien rimait davantage avec logiciels de création graphique qu’avec agriculture biologique. Pendant dix ans, il fut graphiste spécialisé dans la conception et la réalisation d’enseignes, dans l’entreprise qu’il avait co-créée avec son frère. Cependant, c’est bottes aux pieds, gants terreux aux mains et bonnet de marin vissé sur la tête que je le rencontre, à Talmont-Saint-Hilaire, en Vendée. C’est ici, sur le lieu-dit de la Cherfoisière, qu’il a conçu de A à Z sa chère ferme Racine, comme l’aboutissement d’une longue réflexion personnelle et professionnelle.
La semaison d’un nouveau projet
Au commencement de ce changement de vie, fut un long voyage. « Après avoir revendu la boîte avec mon frère, j’ai voyagé pendant presque deux ans en Australie et Nouvelle-Zélande. A l’origine, l’idée était de surfer et pêcher, mais j’ai aussi fait pas mal de woofing, notamment en permaculture, et j’ai découvert des trucs top ! ». Cette période à l’étranger replonge Sébastien dans ses racines - ses grands-parents étaient paysans sur les bords de la Baie de Somme, et sème dans son esprit les premières graines d’une reconversion agricole. Il raconte : « J’avais mis de côté ce milieu agricole, mais quand j’étais petit, je voulais être fermier ! J’étais tout le temps dans les pattes de mon grand-père, je connaissais toutes les races de vaches, j’ai toujours eu ça dans le sang ». En Nouvelle-Zélande, il commence, avec sa compagne, à imaginer un nouveau projet de vie pour leur retour en France. « On se disait qu’on aimerait bien construire une maison container, le tout dans un projet lié à l’agriculture… Mais c’était au stade d’utopie ».
Une utopie ? Pas si sûr. A son retour d’Océanie, le couple jette l’ancre aux Sables-d’Olonne. Un port d’attache tout trouvé pour ce normand d’origine, particulièrement attaché à la mer. « J’ai tout de suite trouvé du boulot ici, et puis on a vite adoré Les Sables ! », se souvient Sébastien. A leur arrivée, il travaille « dans le poisson » et met ainsi un premier pied dans l’alimentaire : « J’ai été marin pendant quelques mois, puis j’ai ensuite bossé à la conserverie de Saint-Gilles-Croix-de-Vie pendant trois ans ». Des expériences aussi enrichissantes que difficiles pour celui qui ne rechigne pas devant l’effort. En parallèle, son projet de reconversion dans le maraîchage se définit peu à peu, et il commence à chercher du foncier : « Je suis rentré en contact avec la chambre d’agriculture, mais on me disait que sans formation, ça allait être compliqué de trouver un terrain pour m’installer ». Sébastien se forme alors pendant un an au Lycée Nature à La-Roche-sur-Yon, réalise des stages, commence à se faire un réseau de maraîchers dans les environs et finit par trouver un joli lopin de terre où s’enraciner, en septembre 2020. « Il a fallu tout créer, préparer la terre, mettre du fumier, refaire les clôtures, il y avait un milliard de choses à faire. Tout ce qui a été fait ici l’a été avec mes petites mains ! », retrace le néo-maraicher. Petit à petit, il dessine les contours de sa ferme Racine et construit le projet de ses rêves, en phase avec ses valeurs et son environnement.
S’inspirer du passé… pour mieux avancer !
Petit-fils de paysans, Sébastien observe, depuis tout jeune, l’évolution de l’agriculture depuis sa lucarne familiale. Il se replonge dans ses souvenirs et nous raconte : « Mes grands-parents avaient une ferme en polyculture et des vaches à lait ; ils étaient parmi les premiers dans leur coin à avoir une salle de traite. Je me rappelle de mon grand-père qui était fier de ce qu’il faisait et qui me disait « Tu vois, c’est le plus beau métier du monde ! » Puis j’ai été témoin d’un changement d’agriculture entre ce que faisait mon grand-père, et la manière dont cela a évolué… Mon grand-père était maître de ce qu’il faisait, il déterminait ses prix. Après, avec les coopératives et tout ça, ça a bien changé… »
Mais alors, comment devenir paysan aujourd’hui, en ces temps de plus en plus incertains ? Si Sébastien est de nature optimiste et engagée, il est tout autant réaliste : « L’agriculture me passionne. Et aujourd’hui, il y a un combat entre toute une partie de la population qui veut revenir à quelque chose d’authentique, à l’ancienne, et une autre partie du monde agricole qui est plutôt pro robots, qui veut mettre des capteurs partout, et veut, quelque part, déshumaniser le métier. Ce qui ne me va pas car je veux qu’il y ait quelqu’un derrière mon alimentation, pas un robot ou de l’intelligence artificielle. Après, c’est facile de dire ça, il faut se retrouver dans les champs et se dire « ok d’accord, je vais tout faire à la main… ».
Une volonté d’autonomie et un mode de maraîchage alternatif
Dès le départ, Sébastien est sûr d’une chose : son projet sera écologique et intégré dans l’écosystème local ou ne sera pas. Il s’intéresse alors à la permaculture : « Quand je n’étais pas à la conserverie, j’étais dans mon potager à faire des tests en permaculture ! Mais en étudiant le sujet, j’ai vite vu que ça allait être compliqué de pouvoir en vivre. Je pense que les gens qui arrivent à vivre de ce type d’agriculture font en parallèle de la formation, accueillent des groupes, etc, ce que je ne souhaitais pas faire, pour ma part. » Il se tourne alors vers la méthode du célèbre maraîcher québécois Jean-Martin Fortier, qui s’est inspiré de la permaculture pour proposer un mode de culture « bio-intensif » sur de petites surfaces, permettant de produire intensivement des légumes bio toute l’année et de pouvoir en vivre bien. Sébastien explique ce choix : « Jean-Martin Fortier a standardisé ses planches de culture pour pouvoir être plus efficace et rationaliser les choses. C’est une méthode qui me convient, et qui convient au terrain. Ici, j’ai 1,1ha mais à peu près 3000m2 de surface cultivée ; c’est ce qu’on appelle une grande micro-ferme, car une micro-ferme correspond à moins d’1ha. J’ai donc voulu designer quelque chose que je pouvais faire tout seul, et qui pouvait être viable pour une personne. »
Le credo de Sébastien ? Le bio certes, mais aussi l’autonomie qui passe, selon lui, par une agriculture « low tech » en opposition à celle « high tech » : « En étant en bio, en travaillant davantage sans machines, tu vas moins produire, mais tu as des charges plus faibles. Dans l’agriculture low tech, tu es censé pouvoir faire et réparer beaucoup de choses toi-même. Quand tu as des tracteurs, que pour chaque outil tu as un prêt bancaire, tu t’embarques dans un système… Tu vas plus produire, mais selon moi au fil du temps tu vas dégrader ta terre. Sur une petite ferme, quand tu commences c’est très dur, mais tu vois que la terre s’améliore, donc ta charge de travail va diminuer avec le temps. Rien qu’en deux ans, je vois la différence sur la structure de la terre, c’est fou ! Tu évites de la maltraiter, tu favorises la vie du sol, tu ne retournes pas, ne tasses pas. » Il conclut : « L’idée c’est de prendre soin de tout, et particulièrement du sol, car si tu as un sol riche, sain et plein de vie, équilibré, avec des bestioles que tu ne voudrais pas forcément mais aussi avec de bonnes, il est prouvé scientifiquement que ton sol va s’améliorer tous les ans. »
Un environnement collaboratif porteur
Si Sébastien a imaginé son activité de telle manière à ce qu’il puisse tout faire par lui-même, il s’inscrit néanmoins dans une dynamique locale très coopérative, où l’entraide est forte. « Je pense que je suis arrivé à un moment où pas mal de choses se créaient dans le coin, donc ça a créé une sorte d’émulation ». Se met alors en place un système collaboratif, dans lequel les paysans locaux se partagent des outils et commandent ensemble leurs plants et où paysans et artisans travaillent main dans la main. « J’ai la chance d’avoir des amis, notamment pendant le confinement, qui m’ont aidé avec tous les travaux à réaliser. Il y a aussi le petit Papy Maurice, ancien charpentier, qui a le potager juste à côté qui me file des coups de main incroyables ! », détaille-t-il, le sourire plein de reconnaissance. « Il faut quand même être entouré pour se lancer dans ce métier, tout seul tu ne fais rien. Par exemple, je n’ai jamais eu à me poser la question de comment j’allais vendre mes récoltes : la cabane créée par Maximilien, des Jardins de la Chaume, me permet de vendre toute ma production ! C’est un système de distribution hyper efficace, avec une clientèle bienveillante, fidèle. Je passe ma semaine dans les champs, je suis souvent un peu seul, et c’est un vrai plaisir pour moi ce moment de vente où tu discutes avec les clients. »
Le temps de « l’hibernation », de l’analyse et de la projection
Après une première année complète à la ferme, Sébastien va désormais prendre le temps d’analyser les chiffres et se projeter pour l’année à venir. « 2022 était une première année compliquée parce qu’au niveau de la météo on a eu un été fou avec de grosses chaleurs. On semait les carottes et ça faisait du pop corn ; la terre était tellement chaude que les graines étaient en dormance. Et puis il y a des choses qui ont très très bien marché aussi, comme le basilic. Mais c’est l’agriculture… à chaque fois tu jettes les dés ! Ce qu’il faut, c’est pouvoir diversifier. » Cet hiver, Sébastien s’est donc lancé dans la construction d’une serre, pour se prémunir de certains aléas climatiques, sécuriser des récoltes et en développer de nouvelles, comme le gingembre, dont cet amoureux des bons petits plats réunionnais est un fan absolu. Un autre projet est également dans les tuyaux pour début juillet 2023 : la vente en direct depuis la ferme, dans la vieille écurie que le paysan maraîcher transforme en espace boutique. En plus de ses propres légumes et des œufs de ses 50 poules, il y vendra également quelques légumes de son ami Maximilien, et « probablement du pain et du lait », conclut-il, résolument tourné vers l’avenir.