Gaëlle Bedhet, le goût des autres avant tout

 

Et si la pâtisserie pouvait être un vecteur thérapeutique ? C’est le pari qu’a fait Gaëlle Bedhet, en devenant pâtissière après une carrière d’assistante sociale et de cadre de santé. Aujourd’hui diplômée de Ferrandi et entrepreneuse aux mille facettes, elle nous raconte son parcours haut en couleur, la genèse de ses ateliers thérapeutiques de pâtisserie et ses engagements pour une gastronomie durable sur le territoire rennais.

 
 

Gaëlle, dans la boutique Tea & Ty, rue de la monnaie à Rennes.

 
 

Qui es-tu Gaëlle ? Quel est ton parcours ?

J’ai 54 ans, 4 enfants et 7 petits-enfants. J’ai commencé par faire une fac de physique-chimie, puis j’ai voulu m’orienter vers un métier humain, dans le lien social, donc j’ai fait l’école d’assistante sociale. J’ai exercé en tant qu’assistante sociale dans un secteur défavorisé de Rennes, puis pendant 20 ans dans un Centre Médico-Psycho-Pédagogique, un lieu de consultation psychologique pour enfants et adolescents, et dans un Centre d’Action Médico-Sociale Précoce, pour des enfants porteurs d’un handicap. J’ai beaucoup aimé faire ça, être en lien avec les parents, les écouter dans leur souffrance, leur cheminement et les accompagner. Je me suis aussi formée à l’approche thérapeutique avec la psychanalyse.

J’ai ensuite été pendant 4 ans cadre de santé dans un hôpital de jour sur Fougères (35), qui accueillait des enfants sourds et malentendants. 

Et en 2016, j’ai passé mon CAP pâtisserie et depuis, je réalise des ateliers thérapeutiques de pâtisserie. Depuis octobre 2021, je me suis également associée à Gwénolé (Coppel) pour l’ouverture d’une nouvelle boutique Tea & Ty à Rennes, où je fais des pâtisseries à emporter et des ateliers de pâtisserie. 

Comment t’est venue l’idée de créer une activité de pâtisserie thérapeutique ?

Quand j’ai reçu le décompte des points retraite et que j’ai vu toutes les années qu’il me restait à faire… Je me suis dit que j’allais peut-être essayer de faire un autre métier ! A ce moment-là, la pâtisserie en elle-même ne m’est pas venue à l’idée parce que, si je suis très gourmande et adore le salé… je n’aime pas le sucre !

Mais à l’hôpital de jour de Fougères, j’avais lancé des ateliers de pâtisserie pour des enfants avec des troubles psychiatriques importants, comme ça existait déjà depuis longtemps en cuisine. J’avais remarqué que les gâteaux avaient un effet très différent sur les enfants, par rapport à la cuisine. Esthétiquement, rapporter un gâteau à la maison c’est autre chose que de rapporter des haricots verts qu’on a équeutés et cueillis, ça a un autre effet sur les parents !

En pâtisserie, plus qu’en cuisine, je trouve, il y a la question de la transformation de la matière, avec les pâtes notamment, il y a toute une gestuelle, une attitude corporelle, des sensations. Je me suis dit qu’il y avait certainement un truc à faire autour de ça… et que je pouvais peut-être passer mon CAP pâtisserie et créer des ateliers thérapeutiques pour les enfants et adolescents avec des troubles psychiatriques. Et puis, la pâtisserie m’a rappelé le côté scientifique de mes débuts, car c’est beaucoup de chimie, et ça, ça me passionne !

 

Atelier de pâtisserie, Rennes, 2021

 

“  Mon concept, c’était que chacun reparte avec ses gâteaux, dans une boite pâtissière, avec la recette, et que les gâteaux ressemblent à des gâteaux qu’on achèterait chez un pâtissier

Comment t’es-tu formée à la pâtisserie ?

J’avais toujours rêvé de faire l’école Ferrandi… mais en salé ! Pour pouvoir y rentrer, il fallait que je présente un projet hyper costaud : j’ai développé mon projet d’ateliers thérapeutiques autour de la pâtisserie avec des art-thérapeutes, jusqu’à l’étendre à tous types de publics différents (enfants, adolescents, adultes). Mon concept, c’était que chacun reparte avec ses gâteaux, dans une boite pâtissière, avec la recette, et que les gâteaux ressemblent à des gâteaux qu’on achèterait chez un pâtissier. Autour de ça, il y avait évidemment tout ce qui touchait au goût, à la saisonnalité. Et puis, j’ai été prise à Ferrandi Paris, en reconversion adultes !

Là-bas, on venait tous de parcours différents, même si c’était plutôt des gens qui avaient fait des études et avaient des postes importants. C’est pas rien dans la vie quand tu décides de plaquer une carrière et de te dire que tu vas gagner un SMIC après, il faut une certaine volonté ! La majorité avait entre 30 et 35 ans, et j’étais la plus vieille à 48 ans. Ferrandi m’a acceptée car ils ont compris que mon projet était l’évolution de mon travail. On a eu une formation top, des super profs très réalistes et qui nous guidaient dans nos projets, notamment en me disant « Gaëlle, monter un salon de thé toute seule, tu oublies ; dans 5 ans tes genoux ne fonctionnent plus ! ». Et ils avaient raison. J’ai rencontré des gens super, on a énormément échangé et j’ai beaucoup appris.

Après 4 mois de formation sur le site, j’ai fait 4 mois de stages où j’ai beaucoup appris : deux chez Laurent Le Daniel à Rennes et deux chez Olivier Haustraete qui tient « Bo » à Paris.

Qu’est-ce que cette reconversion a changé dans ta vie ?

TOUT ! En parallèle des premiers ateliers que je faisais, Soazig (Rescamp), cuisinière, m’a proposé de faire les Marchés à Manger avec elle. Je me suis prise au jeu de la création de gâteaux, même si ce n’était pas mon projet quand je me suis reconvertie, et on s’est lancé ensemble dans l’aventure des gâteaux aux légumes !

Grâce au Marché à Manger j’ai rencontré Gwénolé, qui venait juste de passer son CAP pâtissier. J’avais très envie de fédérer les gens autour d’un groupe, pour revivre un peu ce que je vivais à Paris, l’émulation du partage de recettes et de conseils. Gwénolé était dans la même optique et m’a dit de foncer. Alors, avec Virginie Giboire (cheffe du restaurant Racines), Sibylle Sellam et Grégoire Foucher (co-chefs du restaurant Bercail), Marion Juhel (fondatrice de la pâtisserie 16h30), Soline de la pâtisserie Inti, un groupe d’échanges s’est créé. On se lançait des défis entre nous en travaillant des produits, on allait voir des producteurs, on faisait des ateliers dégustation de produits, des ateliers sur les thés avec Gwénolé… On se partageait des recettes, on se filait des coups de main, et on rigolait beaucoup ! Olivier Marie était aussi venu faire un article pour Goûts d’Ouest.

Et puis le premier confinement est arrivé… On a gardé ce groupe qu’on a appelé « Les Copains-tissiers » et c’est devenu un groupe de soutien quand les restos ont fermé. On s’est lancé de nouveaux défis, et puis les restaurateurs découvraient la vie… sans restos ! Et un jour, Virginie nous a lancé l’idée de proposer des repas aux soignants. En 24 heures, avec Olivier, on avait monté le projet et contacté l’association Les petits doudous pour faire le lien avec l’hôpital. Avec l’aide de nos fournisseurs, des dons que des gens déposaient dans une épicerie solidaire qu’on avait créée et de nos frigos, on s’est retrouvé à une cinquantaine de restos et quelques pâtissiers, et on a cuisiné 120 repas par jour, pendant un mois.

On avait bien réfléchi à la législation et au côté sanitaire, mais la direction de l’hôpital nous a dit d’arrêter car ils n’étaient pas sûrs qu’on aient des garanties sur le plan sanitaire. On s’est un petit peu vexé, car c’est un peu notre métier… L’hôpital a exigé la liste des restaurants, sur laquelle il y avait tous les étoilés du coin et toutes les bonnes adresses. Malgré ça, on nous a proposé un compromis : cuisiner directement dans les cuisines centrales de l’hôpital. On a donc été obligé d’arrêter, car ce n’était plus notre projet. Le mois d’après, on a décidé de donner des repas à l’association Utopie 35 pour les maraudes des SDF.

 
 
 
 

“  Avec Bercail, Peska, 16h30, Pénates, Origines, Racines, Chawp-Shop et Olivier, on s’est réuni et on a écrit la charte du collectif “

Tu fais partie du collectif rennais Nourritures, « pour une gastronomie humaine, durable et en mouvement ». Comment ce projet est-il né ?

J’ai toujours eu besoin de me nourrir des autres dans mon travail. Je trouve qu’il y a une très belle énergie à Rennes et cette idée de nous rassembler a germé de toutes ces rencontres évoquées, de tous ces échanges entre nous, avec les chefs, avec Olivier Marie, etc.

Avec le confinement, je me suis retrouvée sans activité car toutes les institutions ont fermé du jour au lendemain, juste au moment où j’arrivais enfin à gagner un SMIC par mois. J’avais plein de projets, on était déjà sur le projet Tea & Ty avec Gwénolé et tout a été annulé… Au deuxième confinement, j’ai vraiment accusé le coup et j’ai pris la décision en septembre 2020 de ne pas reprendre mes ateliers. Mais j’avais besoin d’occupation et j’ai proposé mon aide à Olivier Marie pour réfléchir à ce groupe, et c’est là qu’il m’a dit qu’il y avait réfléchi aussi et qu’il pensait à monter un collectif !

Alors, avec Bercail, Peska, 16h30, Pénates, Origines, Racines, Chawp-Shop et Olivier, on s’est réuni et on a écrit la charte du collectif. En janvier 2021, on a ouvert le groupe à un deuxième cercle de gens dont on savait qu’ils partageaient nos valeurs, pour confronter le travail qu’on avait fait. Aujourd’hui on est 25 structures, on expérimente, on se constitue.

L’essentiel des axes dans Nourritures, c’est de travailler sur la question des salariés, de mutualiser nos moyens en matériel et en approvisionnement, mais c’est aussi la question des produits ménagers… Un autre champ qu’on a souhaité valoriser c’est la solidarité avec les autres. On a répondu à une demande de l’association la Consigne afin de cuisiner gratuitement un repas de Noël pour 150 personnes le 18 décembre, et on va aussi monter un projet avec la prison des femmes de Rennes.

 
 

J’ai baigné dans ce mélange des cultures, ça fait partie de moi ! Je suis convaincue qu’on découvre la différence dans chaque rencontre. “

Selon toi, la pâtisserie peut-elle être durable ?

C’est beaucoup plus difficile en pâtisserie qu’en cuisine, et c’est pour ça qu’avec Marion (Juhel) on s’arrache les cheveux, notamment sur les produits laitiers. Elle travaille avec le beurre de Thierry Lemarchand pour son kouign-amann (qui est juste à tomber par terre) ou sa galette des rois, mais ça ne peut être que quelques produits parce que tu ne peux pas tourer des croissants avec et ça a un coût… Et je ne pense pas que les gens soient encore prêts à payer ce que ça vaut réellement.

Il y a aussi la question des produits qui viennent de loin. D’ailleurs, on a eu un gros débat au sein du collectif Nourritures à ce sujet, parce qu’on a envie de continuer à travailler le chocolat, des fruits exotiques, etc. On a résolu la question éthique en se disant qu’on allait être très précautionneux sur le sourcing, parce que malgré tout, on est aussi dans une économie qui s’est mondialisée. Nos vins, on est bien contents de les vendre à l’étranger aussi !

J’ai toujours aimé les voyages, les rencontres, la diversité culturelle. Je suis l’aînée de 9 frères et soeurs. Mes parents ont eu trois enfants et adopté six enfants : j’ai deux soeurs qui viennent du Pérou, un frère du Bénin, et trois frères d’une même fratrie et qui viennent du Népal. J’ai baigné dans ce mélange des cultures, ça fait partie de moi ! Je suis convaincue qu’on découvre la différence dans chaque rencontre.

J’aime la viande et le poisson, je ne me retrouve pas du tout dans le mouvement végane. Je reste convaincue que le bien-être alimentaire c’est de manger des produits les moins transformés possibles. Y compris dans les pâtisseries !

De ton côté, comment essayes-tu de faire rimer pâtisserie avec durabilité ?

J’essaye de travailler au maximum avec des produits locaux, de saison. Par exemple, j’ai choisi de ne pas travailler la mangue, je préfère choisir la bergamote qui vient de plus près.

J’ai envie de me définir comme une pâtisserie de marché, un peu comme il y a la cuisine de marché. Je n’arrive pas à penser mes menus autrement qu’en allant au marché, donc je fais pareil avec ma pâtisserie. Je connais mes fournisseurs depuis longtemps, ils connaissent mes goûts et me font mon sourcing. Ça pour moi, c’est participer à l’environnement durable, je sais d’où viennent mes produits.

 
 
 
 

“ Avec Gwénolé, ce qu’on aime, c’est partager : on souhaitait que les gens puissent venir nous voir et nous questionner sur nos produits. ”

Tu viens d’ouvrir la boutique Tea & Ty 2.0 avec Gwénolé Coppel. Peux-tu nous en parler ?

Le projet est né de notre rencontre et de cette boutade de Grégoire Foucher (co-chef de Bercail) sur le fait de monter un projet ensemble ! Peu à peu, on a constitué l’univers actuel, autour du thé, des pâtisseries à emporter et des ateliers. Ce qu’on aime, c’est partager : on souhaitait que les gens puissent venir nous voir et nous questionner sur nos produits. On voulait faire un lieu ouvert sur la rencontre et l’échange. Gwénolé tient la partie boutique de thés et je réalise les pâtisseries en vente à emporter. J’y organise aussi des ateliers de pâtisserie et Gwénolé des ateliers de dégustation des thés.

Un prochain rêve que tu aimerais réaliser ?

Je vis déjà un rêve éveillé de partager toute cette passion avec des gens dont c’est le métier. Maintenant, je profite ! Mon rêve, c’est de continuer ! Carpe diem : il m’a fallu 50 ans pour que je comprenne ce que ça voulait dire !