Léa Taloc, boulangère tombée dans la marmite de levain
[Je suis très heureuse de lancer cette nouvelle rubrique « Portraits » avec celle qui m’a fait découvrir le pain au levain il y a maintenant quelques mois… J’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cette interview, que j’en ai eu à échanger avec Léa !] Pauline
Léa Taloc ouvrira bientôt les portes de son fournil 100% levain, à Sougé (Loir-et-Cher) : le Fournil de la Cormerie. Cette jeune femme pétillante de 27 ans a changé de vie pour se consacrer à sa passion pour les mystères du levain, et en faire son métier. Rencontre avec cette boulangère reconvertie, avant tout amoureuse de la vie !
Quel a été ton parcours avant ta reconversion ?
J'ai fait un DUT services et réseaux de communication, avec de la communication, du développement, du graphisme, etc. J’ai toujours aimé faire des trucs de mes mains et j’aurais aimé me spécialiser dans l’illustration par la suite mais c’était un peu bouché. Je me suis dit « autant trouver un job dans ce domaine qui soit utile », donc j’ai étudié un an à l’école des Gobelins, à Paris, pour travailler dans l’ergonomie d’interfaces, c’est à dire faire des sites internet faciles à utiliser. A ce moment là, je me disais encore que j’allais travailler comme une forcenée toute ma vie, dans des grandes entreprises ; je donnais une grande place à la réussite professionnelle ! Mais cette année d’études, très rude, m’a permis de me rendre de compte de mes limites. Cela a eu une incidence sur la suite.
Y a-t-il eu un déclic qui t’a décidée à changer de vie ?
Pendant et après mes études, j’ai vécu deux ans en Suède et aux Pays-Bas, avec mon copain. Là-bas, j’ai eu une claque. J’ai découvert une autre façon de voir la vie, où le plus important n’est pas le travail, mais le temps que tu octroies à ta famille et à toi-même. Cela m’a fait prendre beaucoup de recul sur ma relation au travail et à ce que je voulais dans la vie. Je n’étais déjà pas 100% convaincue par ce que je faisais, j’avais l’impression de travailler pour pas grand chose. Avec mon copain, on s’intéressait de plus en plus à l’écologie, et nos souhaits pour le futur, nos futurs enfants, ont évolué. En rentrant en France, j’ai continué à travailler dans une start-up mais je me sentais complètement déconnectée du monde réel. Toutes ces réflexions ont fait leur petit bout de chemin, il était temps de changer de vie !
“CE N’EST PAS JUSTE LE FAIT DE MELANGER DE LA FARINE AVEC DE L’EAU QUI M’A PLU, C’EST DE TRAVAILLER AVEC LE VIVANT, D’AVOIR CE LEVAIN UN PEU CARACTERIEL QUI PARFOIS BOUDE ET PARFOIS EST EN PLEINE EXPLOSION !”
Qu’est-ce qui t’a amenée à te lancer dans la boulangerie et le pain au levain en particulier ?
J’aimais déjà le pain au levain, que j’avais découvert aux Pays-Bas. J’ai fait un stage dans le Morbihan pour apprendre à faire mon pain au levain maison, et je suis tombée dans le monde du pain au levain en fait, pas dans le monde du pain. Le pain blanc, ça ne m’intéressait pas. Ce n'est pas juste le fait de mélanger de la farine avec de l’eau qui m’a plu, c’est de travailler avec le vivant, d’avoir ce levain un peu caractériel qui parfois boude et parfois est en pleine explosion ! Je suis tombée amoureuse de la fermentation, de ses mystères, j’avais envie d’en savoir plus, d’en faire plus… et pour d’autres gens. Le pain au levain, c’est un tout : bon pour la santé et savoureux. Et puis il y a aussi le côté « retour aux traditions » qui m’a attirée. Cela fait des centaines d’années que l’être humain travaille les bactéries et je trouve ça chouette de revenir aux sources.
Comment t’es-tu formée au métier de boulangère ?
Après être tombée dans le levain, j’ai fait un stage de deux semaines dans la boulangerie bio au levain, « Pain Virgule », à côté de Nantes. Même si très physique, ça m’a quand même bien plu et confortée dans le fait que j’avais vraiment envie de faire ça. Je me suis donc inscrite au CAP en candidate libre… et je l’ai eu ! Après, j’ai fait un an de stages où j’ai découvert plein de techniques différentes, des personnalités, plein de fours différents. Cela m’a permis de prendre un petit peu de chaque expérience. Aujourd’hui je fais ma « patouille » avec mes propres techniques !
Que représente le pain pour toi ?
Pour moi, le pain c’est nourrir les gens. C’est notre alimentation de base. Depuis quelques années on mange des pains qui ne sont pas forcément très bons pour nous, avec des farines très blanches et des conservateurs. Je trouve qu’on a perdu l’essence même du pain qui est de nous nourrir sainement. Le pain au levain c’est plein de bonnes choses ! Beaucoup de personnes se disent : « Si je mange trop de pain, je vais grossir, je vais enfler ». Alors que non, si on mange du bon pain, on se nourrit, on est calé et puis voilà, ça ne peut nous faire que du bien. Et puis quand je fais du pain pour les autres, j’y mets tout mon amour et beaucoup de temps. Alors quand je vois les sourires des clients, cela me créé énormément de joie ! Faire du pain c’est une transformation assez simple du grain finalement : on le réduit en farine, on rajoute de l’eau, du sel, du levain. Pourtant, on obtient quelque chose de très savoureux, c’est magique !
Comment choisis-tu tes matières premières ?
Le blé que j’utilise est produit par un ami, à un kilomètre du fournil. Je le fais moudre par quelqu’un d’autre, vers Tours, à 30 minutes de route environ, qui produit également du petit épeautre et du sarrasin que je lui achète directement. Cela prend du temps, mais c’est essentiel pour moi de connaitre le plus possible les gens qui me fournissent les matières premières. J’ai envie de savoir comment ils travaillent. Je trouve ça super chouette de dire que mes pains sont faits avec la matière première d’untel et d’untel. Pour le beurre, le lait, il est aussi prévu que je travaille avec des producteurs locaux. Pour tout ce qui est graines et sucres, j’achète directement en magasins bio.
Peux-tu nous parler de ton futur fournil ?
L’objectif est que je fasse trois fournées par semaine, pas plus. J’ai envie de faire des produits de garde, pour que les gens fassent leur commande une à deux fois par semaine maximum, parce que la brioche et le pain se gardent grâce au levain. Je vais aussi faire des biscuits, des cookies, des sablés, des granolas. Mon but en me lançant dans le fournil de La Cormerie, c’était de travailler seule ; il n’y aura donc pas de boutique. Les clients pré-commanderont leurs produits et les récupèreront en AMAP (ndlr : Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), dans des dépôts de pains, ou encore via une boite à pains installée devant le fournil. Avec le confinement, les travaux du fournil prennent un peu de retard et l’ouverture est forcément repoussée. Mais j’ose espérer l’inaugurer cet été !
Quels conseils donnerais-tu à ceux qui veulent se reconvertir dans un métier de bouche artisanal ?
D’abord, je dirais d’écouter son intuition. Il y aura toujours des gens pour te dire « Mais t’es complètement malade ! ». Aller tester le métier aussi, parce qu’on s’en fait souvent une image, on a tendance à le romancer. Il ne faut pas hésiter à aller à la rencontre d’autres personnes qui sont dans le métier, car il y a plein de façons de faire différentes. Je n’ai pas vu un seul boulanger faire la même chose qu’un autre. Enfin, il ne faut pas hésiter à se dire qu’on s’est planté !
Quel est ton premier souvenir lié au pain ?
Bonne question… Ah si, quand j’étais petite, mon papi me faisait des tartines de ficelle, avec du Nutella et du beurre demi-sel ! C’est un peu la honte pour une fille qui fait du pain au levain et qui essaye de ne pas manger d’huile de palme aujourd’hui, mais je trouvais ça tellement bon à l’époque (rires) !
Et aujourd’hui, quel est ton péché mignon version pain ?
Le pain au sarrasin grillé avec du fromage de chèvre frais !
En cette période de confinement, beaucoup de personnes commencent à faire leur pain maison au levain. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Je trouve cela super chouette que les gens remettent un peu de vivant dans leur alimentation, parce que le levain c’est travailler avec le vivant, c’est apprendre sur la vie en fait ! Il y a tellement de paramètres qu’il faut vraiment être dans l’intuition : « Ah là j’ai l’impression qu’il fait pas assez chaud, je vais mettre de l’eau un peu plus chaude. », « Ah là il a fait trop chaud, il va falloir que je l’enfourne plus rapidement ». On joue beaucoup sur les sensations et je trouve que dans notre mode de vie actuel on s’en coupe complètement. Je pense que le levain peut aider à lâcher prise dans cette période de confinement !
Les conseils de lecture de Léa :
“Sur le thème du pain au levain” : Traité de boulangerie au levain par Thomas Teffri-Chambelland, Editions Ducasse.
“Pour la boulange de tous les jours” : le "Les secrets de la boulange bio" de Marie Chioca, Editions Terre vivante.
“Au sujet de l'industrie et du business des boulangeries” : le court essai de Marie Astier "Quel pain voulons-nous ?", Editions Seuil.
“Sur l'agriculture en général” : "Changeons d'agriculture" de Jacques Caplat, Editions Actes Sud.
Mille mercis à Léa pour avoir accepté de répondre à mes questions !
Pour en savoir plus sur le Fournil de la Cormerie et les pains (& Cie) de Léa, c’est par ici !
Léa tient aussi le blog La Cormerie sur lequel elle poste des recettes qui mettent l’eau à la bouche et font la part belle à l’anti-gaspillage !
Vous pouvez également suivre Léa sur Instagram : @lacormerie
Photographies & illustrations : Léa Taloc.