Virginie Brégeon de Saint Quentin, entrepreneuse durable aux mille casquettes !

Plongée dans l’univers de la gastronomie dès sa naissance, Virginie Brégeon de Saint Quentin navigue aujourd’hui entre recherche, écriture, enseignement, conseil et entrepreneuriat sans jamais perdre de vue son cap : défendre et faire vivre le tourisme et l’alimentation durables. Rencontre avec cette bretonne engagée qui vient de concrétiser un rêve en ouvrant la Cabane à Manger à Saint-Suliac (Ille-et-Vilaine) ! 

Virginie Brégeon de Saint Quentin et son mari dans leur food truck.

Virginie Brégeon de Saint Quentin et son mari dans leur food truck.

Quel est votre parcours ?

Je suis née (ou presque) dans un restaurant, celui de mes parents et arrières-arrières-grands-parents, à Rennes. C’était un lieu de réception, traiteur, hôtel-restaurant et on habitait sur place. Je suis vraiment née dans la marmite ! Comme j’étais bonne élève, on m’a recommandé de faire Science Po à Rennes, que j’ai adoré. A l’époque où je voulais potentiellement devenir journaliste ou ethnologue, je me suis rendue compte que j’avais été marquée par l’expérience familiale et que j’allais avoir du mal à m’éloigner de la cuisine. J’ai fait mon stage de fin d’études chez le chef 3 étoiles Yannick Alléno, participé au lancement du magazine Yam et fait des stages chez Havas en communication. A force de travailler avec des créatifs, j’ai voulu en faire partie et je me suis inscrite en arts appliqués à LISAA Rennes pour devenir designer concepteur graphique. Pour financer ces études, j’ai commencé à être graphiste indépendante et à proposer des prestations de communication et marketing. J’ai ensuite continué sur un doctorat en marketing culinaire, avec une grosse dose de sociologie et de design, à Science Po. Je continuais toujours à faire des prestations de conseil, de marketing, de graphisme en free-lance, avec Histoires de Goûts, une agence que j’avais créée. J’ai fait cela pendant 5 ans et à la veille de ma soutenance de thèse de doctorat, l’école FERRANDI m’a proposé de réaliser des prestations de conseil et de direction artistique en devenant enseignant-chercheur. La recherche me plaisait beaucoup, mais je me suis un peu trop éloignée de la création et du contact direct avec ceux qui cuisinent…



Et aujourd’hui, que faites-vous ?

Je suis professeur associé à FERRANDI et professeur sociétaire de l’Institut Supérieur de Design de Saint-Malo, avec qui on développe un programme de formation, « Territoires Comestibles », qui va commencer en septembre 2020. Je fais toujours un peu d’accompagnement et de conseil en tant qu’associée aux entrepreneurs. Et puis, avec mon mari, on a ouvert en mai la Cabane à Manger à Saint-Suliac, en bord de Rance, en bas de chez nous.



Quelle relation avez-vous avec la cuisine ?

Dès toute petite j’ai vécu dans cet univers, mes parents travaillaient beaucoup, on passait beaucoup de temps avec les cuisiniers, serveurs, maitres d’hôtel, qui m’ont un peu élevée finalement ! Avec la cuisine, il ya aussi le plaisir de recevoir les gens : ce sont vraiment les deux métiers qui me ressemblent. Passer un bon moment avec ses invités, qu’ils repartent avec le sourire et qu’ils vous remercient, c’est une récompense immédiate qui a beaucoup de valeur. La cuisine, je l’ai un peu intensifiée et personnalisée en rencontrant mon mari, qui est chasseur-pêcheur-cueilleur, avec une grande volonté de faire attention aux ressources naturelles et de préserver la nature. Je n’ai pas été élevée à la ferme, ni en pleine nature, donc j’ai moins la connaissance du produit initial dans le champ ou de l’animal qu’on va sacrifier pour notre repas. Avec lui, j’ai intensifié ma connaissance du produit brut et c’est ce qui signe notre cuisine aujourd’hui à la Cabane à Manger .

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre Cabane à Manger ?

C’est un petit terrain d’expérimentation de ce que l’on rêve : une alimentation durable et un mode de vie plus doux pour tout le monde ! C’est un food truck avec une grande terrasse au bord de la Rance, ouvert de Pâques à la Toussaint. Le reste de l’année, on peut se déplacer pour faire de l’événementiel. Ce projet, on y pense depuis… toute notre vie ! Tous les matins on se dit que c’est un rêve, c’est magique. On est face à l’eau, dans une super ambiance, c’est génial ! On propose des produits de qualité, très locaux, le plus souvent possible sauvages, on veut vraiment cuisiner les saisons. C’est une façon de remercier la nature, de s’en émerveiller tous les jours. Au menu, on propose entre autres des tapas, des bocaux faits dans un ESAT à côté de Rennes, attaché à une ferme bio, de la charcuterie de la ferme des Aubriais, à côté de la Rance, des salades, des tartinades végétales pour l’apéritif, des buns, etc. On cuisine tout dans la caravane, hormis la pâtisserie qui est faite dans notre laboratoire au bout de la rue. 

Quel est votre plus grand souvenir culinaire lié à votre enfance dans le monde de la gastronomie ?

Mes parents étaient partis en week-end sans moi, j’étais très triste et je restais à Rennes au restaurant. Le chef m’avait préparé une rosace avec un carpaccio de coquilles Saint-Jacques, des feuilles de basilic et des truffes, ce qui est complètement indécent pour une enfant qui devait avoir 10 ou 12 ans ! J’avais eu le droit de manger cette assiette toute seule dans la salle du restaurant gastronomique, c’était un moment incroyable, mon premier souvenir gastronomique ! C’était aussi le geste, le fait de me dire qu’on m’avait dressé une table, que j’avais le droit d’être assise à une table au milieu des clients avec un service et un chef qui m’avait fait une assiette que pour moi. C’était une marque d’attention incroyable ! Je trouve que c’est très important de garder cette notion de lien et d’attention à l’autre dans la cuisine.

 
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Vous défendez le bien-manger de manière « esthétique et joyeuse ». Qu’est-ce que cela signifie ?

On peut bien manger, de manière accessible sans que ce soit triste et moche ! Souvent on se dit que si on mange bien, c’est forcément très cher. Faire du marketing, ce n’est pas forcément sale et pas bien. Souvent, les acteurs du bien-manger sont mal à l’aise avec la valorisation de leur travail, parce qu’ils ont l’impression de copier les méthodes des personnes auxquelles ils ne veulent pas ressembler. Pour eux, le marketing c’est l’agroalimentaire et donc ils n’en font pas. J’estime qu’on a le droit de se faire plaisir en mangeant bien et sainement, et que cela peut être goûtu, sucré, salé, agréable, coloré, accessible et surtout joli car cela fait partie du plaisir d'un repas.

Comment cette vision de la cuisine se traduit-elle en pratique dans votre food truck ?

Pour la Cabane à Manger, on a fait le choix d’une caravane qui s’insère dans le paysage, dans les couleurs de la Rance et dans l’esprit nature qui va bien à Saint-Suliac. On n’a pas d’emballage jetable, que de la vaisselle ; c’est beaucoup plus agréable de manger une salade dans un bol et de boire une bière dans un verre que de manger dans du carton ! Rien que pour la texture qu’on a sur les lèvres et pour le fait de se dire qu’à la fin il ne reste rien, qu’on va respecter la nature et qu’on ne remplit pas les poubelles d’emballages qui s’amoncellent dans un endroit superbe. C’est aussi aller au potager le matin, cueillir quelques fleurs de bourrache et les mettre sur une salade. On a le droit de se faire plaisir à un prix raisonnable et d’avoir des petits gestes comme ça qui montrent que c’est beau, sans que cela n’augmente forcément le prix du plat.

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Comment expliquez-vous l’engouement pour une alimentation durable ces dernières années ? Pensez-vous qu’un véritable tournant est en train de s’opérer ?

Je ne pense pas que ce soit un engouement. Je pense qu’on n’a pas le choix et que cela va s’accélérer. On l’a vu avec le confinement et l’accélération de la croissance des moyennes surfaces bio, de la vente en direct chez les producteurs, etc. C’est par la contrainte que cela se fait, mais elle va s’amplifier avec les crises liées au changement climatique. Entre guillemets, c’est positif car cela va induire des comportements plus durables et une consommation plus territorialisée, et en même temps on préfèrerait éviter ces crises…

L’alimentation bio a clairement commencé avec la peur du cancer et les premières études scientifiques qui ont montré que les pesticides et l’agriculture intensive étaient mauvaises pour la santé. C’était un choix personnel, le bon pour soi. Ensuite, on s’est rendu compte que le plastique dans la mer tuait les poissons et que les abeilles étaient en train de mourir alors qu’on en avait besoin pour polliniser nos champs : on s’est intéressé à l’environnement. Et puis récemment, on a compris qu’il fallait aussi se poser la question de la société dans laquelle on voulait vivre et qu’on devait faire des choix bons pour la société. C’est l’engouement pour la démarche sociale, avec notamment les entreprises d’insertion et la juste rémunération des producteurs. Avec la crise sanitaire, le « bon pour la société » a été très fort et une espèce de lien s’est construit avec les producteurs, et entre les producteurs et les restaurateurs. Dans les chiffres, cela reste une niche, mais je pense que tout nouveau projet doit se positionner sur l’alimentation durable car on est loin d’être sorti de l’auberge. On est en cours vers une transition écologique alimentaire, mais il faudrait aller beaucoup beaucoup plus vite. Peut-être que c’est la nature qui décidera à notre place et qui nous forcera à aller plus vite…


Le grand Livre du marketing Culinaire, Virginie Brégeon et Brian Lemercier, éditions Dunod

Le grand Livre du marketing Culinaire, Virginie Brégeon et Brian Lemercier, éditions Dunod

Vous avez co-écrit un livre sur le marketing culinaire durable, l’aboutissement de votre thèse. Qu’est-ce que le marketing culinaire durable ?

Pendant longtemps, on s’est dit que le marketing était la dernière étape du montage d’un projet, alors qu’il faut l’intégrer dès le départ, en demandant aux clients quels sont leurs besoins et leurs attentes. Il faut aussi regarder les tendances du marché et se demander comment intégrer son projet dedans pour qu’il trouve naturellement sa clientèle. Dans ce cas-là, on n’a pas de frais annexes de marketing complètement hallucinants ; c’est durable pour l’entrepreneur. Un bon marketing pour la durabilité de l’entrepreneur, c’est de concevoir une expérience ou une offre qui correspond dès le départ aux besoins de la société, des clients, de l’environnement, comme ça ce sera beaucoup plus facile de le mettre en avant ensuite. C’est pour ça que je dis que c’est un marketing empreint de sociologie, de design et de développement durable. L’autre élément, c'est de se demander à chaque fois quel est l’impact de son activité sur l’environnement et si cet impact est vraiment nécessaire. La troisième chose, c’est de dire qu’on fait bien les choses, car on a le droit de se mettre en valeur - comme d’autres le font parfois avec des publicités mensongères. On a une espèce de devoir de sensibiliser notre clientèle et les autres à des démarches plus durables.

Avez-vous un conseil lecture à nous partager pour mieux comprendre les enjeux de l’alimentation ?

Pierre Rabhi, forcément ! Claude Levi Strauss, avec Le cru et le cuit. Et puis l’émission On va déguster de François-Régis Gaudry.


Retrouvez Virginie Brégeon de Saint Quentin sur son compte Instagram @histoiresdegouts, et pour en savoir plus sur La Cabane à Manger c’est par ici !

Le grand livre du marketing culinaire, Virginie Brégeon de Saint Quentin et Brian Lemercier, aux éditions Dunod.